Que ce soit pour garantir leur indépendance et leur souveraineté, développer leur économie, attirer des capitaux, se protéger contre l’inflation ou diversifier leur trésorerie, les raisons qui poussent les États et les entreprises à se constituer des réserves stratégiques en cryptoactifs sont multiples. Après le Salvador en 2021, les États-Unis ont ainsi annoncé en 2025 l’établissement d’une telle réserve. Côté entreprises, plus d’1,4 million d’entre elles dans le monde détiennent du bitcoin, contre 700 000 pour l’année précédente[1]. Paul Bureau, Directeur de l’offre Actifs numériques de la Banque Delubac & Cie, nous en dit plus sur ces nouveaux usages.
Qu’est-ce qu’une réserve stratégique en cryptoactifs ?
P.B. : On parle de réserve stratégique quand un État ou une entreprise stocke un produit (or, pétrole, matériaux essentiels…) pour faire face à des événements inattendus ou pour assurer la continuité de son activité. Par exemple, la banque centrale des États-Unis – la Fed –possède des lingots d’or dont la valeur intrinsèque constitue un rempart contre l’instabilité monétaire. Au cours des dernières années, un nouveau type de réserve stratégique a émergé en lien avec le développement des cryptoactifs. Michael Saylor, le PDG de Strategy (anciennement MicroStrategy), a ainsi commencé à accumuler des bitcoins en 2020, faisant de sa société la première Bitcoin Treasury Company qui détient, aujourd’hui, 3 % de l’offre mondiale. Surnommé « l’or digital », le Bitcoin est en effet le seul système informatique programmatique qui n’a jamais buggé depuis 2010 et fonctionne en continu pour transférer de la valeur d’un point A à un point B sans instance de gouvernance. C’est aussi un cryptoactif dont la rareté[2] augmente dans le temps grâce au mécanisme du halving qui survient tous les quatre ans. À la suite de Strategy, d’autres entreprises se sont constitué des trésoreries en cryptoactifs pour développer leur résilience financière. C’est le cas de Metaplanet au Japon et de Capital B en France. Mais aussi de plusieurs États comme le Salvador, le Bhoutan ou, plus récemment, les États-Unis.
Tous les cryptoactifs sont-ils éligibles pour créer une telle réserve ?
P.B. : Si le Bitcoin est le plus utilisé aujourd’hui, en théorie tous les cryptoactifs peuvent être utilisés pour créer une réserve stratégique. Ce choix dépend de la thèse d’investissement adoptée par les États et les entreprises. Dans la plupart des cas, le Bitcoin s’impose du fait de ses caractéristiques et de sa fiabilité. Mais il existe d’autres possibilités. La société Acheter-Louer.fr est par exemple devenue une Solana Treasury Company tandis qu’Entreparticuliers.com a été la première Ethereum Treasury Company en France. La blockchain Ethereum offre en effet davantage de possibilités que celle de Bitcoin comme celles de créer un pool de liquidités, déployer des smart contracts, tokeniser des actifs ou encore faire des transferts de stablecoins. Les Ether Treasury Companies accumulent donc des ethers en misant sur l’utilisation croissante de ce cryptoactif dans les années à venir. Si cette hypothèse se vérifie, le stock d’ethers disponibles diminuera car il y aura plus de burns que d’émissions ce qui augmentera sa rareté tout en créant une pression inflationniste sur le prix.
« Si le Bitcoin est le plus utilisé aujourd’hui, en théorie tous les cryptoactifs peuvent être utilisés pour créer une réserve stratégique. Ce choix dépend de la thèse d’investissement adoptée par les États et les entreprises. »
Quels sont les avantages et les inconvénients d’une réserve stratégique en cryptoactifs par rapport à une réserve constituée d’actifs traditionnels ?
P.B. : Ces réserves sont complémentaires et permettent aux États et aux entreprises de diversifier les actifs qu’ils détiennent. Contrairement à l’or, les cryptoactifs sont des actifs liquides[3]. Quand un État décide de vendre trois tonnes d’or, le seul acteur capable de les acheter est un autre État. À l’inverse, les cryptoactifs s’échangent plus facilement dans le monde. La transparence est un autre avantage. Si personne ne sait exactement combien la Banque de France possède de lingots d’or, les wallets électroniques sont publics sur la blockchain. À tout moment, on peut donc savoir combien de cryptoactifs possède une entreprise. On sait par exemple que BlackRock détient, à date, 1,5 % des ethers de la planète. Néanmoins, cette traçabilité peut devenir un inconvénient si une personne ou une entreprise souhaite rester discrète sur son patrimoine en cryptoactifs.
« Ces réserves sont complémentaires et permettent aux États et aux entreprises de diversifier les actifs qu’ils détiennent. »
Concrètement, comment une entreprise ou un État peut se constituer une réserve stratégique en cryptoactifs ?
P.B. : Il existe plusieurs cas de figure. Un État qui produit beaucoup d’énergie peut décider d’utiliser l’excédent, cher à stocker, pour miner des cryptoactifs et, ainsi, se constituer une réserve stratégique qui servira à garantir un emprunt ou encore à améliorer sa solvabilité. De la même manière, les entreprises qui produisent de l’énergie peuvent arbitrer entre le cours de l’électricité et le rendement lié au minage de cryptoactifs. C’est une piste intéressante pour la France qui produit trop d’électricité. Au lieu de revendre ce surplus à perte, celui-ci pourrait en effet servir à accumuler des cryptoactifs.
Les États et les entreprises qui souhaitent diversifier leur trésorerie peuvent également acheter directement des cryptoactifs. Plutôt que d’investir à court terme dans des actifs peu risqués mais avec un rendement faible, la détention de cryptoactifs peut leur permettre d’accéder à de la dette et d’emprunter de l’argent auprès de certaines banques, dont Delubac.
Enfin, les cryptoactifs peuvent être accumulés sans achat direct. Les États-Unis ont ainsi fait le choix de s’appuyer uniquement sur des saisies judiciaires pour se constituer une réserve stratégique en Bitcoin.
Après le Salvador, les États-Unis ont effectivement décidé d’instituer une réserve stratégique en cryptoactifs : en quoi les enjeux diffèrent-ils entre ces pays ?
P.B. : En 2021, le Salvador est devenu le premier État à faire du Bitcoin une monnaie légale, au même titre que le dollar, avant de revenir sur cette décision fin 2024 dans un contexte économique fragilisé. À l’origine, ce pays avait subi une dévaluation importante de sa monnaie et ne possédait pas de réserve d’or pour en garantir la valeur. En se tournant vers le Bitcoin, le Salvador espérait donc réduire sa dépendance à l’égard du dollar américain, améliorer les conditions d’accès au système bancaire et financier de sa population et faciliter les transferts de fonds. La logique n’est pas la même aux États-Unis où Donald Trump a annoncé, en mars 2025, la constitution d’une réserve fédérale alimentée par 200 000 bitcoins saisis dans des affaires civiles et pénales. Concrètement, ces cryptoactifs pourront être utilisés par la Fed pour intervenir sur le marché des changes, prêter à des banques mais aussi, à plus long terme, réduire la dette nationale et les déficits. En résumé, si le marché mondial des cryptoactifs reste mineur au regard de celui des actions et des obligations, la création d’une réserve stratégique en cryptoactifs représente une opportunité pour les pays en voie de développement. Pour les autres, c’est un moyen de diversifier leurs actifs de réserve.
Quelle est la particularité du modèle appliqué par les Crypto Treasury Companies ?
P.B. : La stratégie des Crypto Treasury Companies est d’accumuler le plus de cryptoactifs possibles sans les revendre. Elles utilisent également les mécanismes d’une société cotée pour lever de la dette et émettre des actions en recherchant, pour toutes leurs opérations, un effet relutif, c’est-à-dire une augmentation du nombre de crypto par action émise. Leur promesse est ainsi de faire mieux que la performance intrinsèque d’une crypto donnée (Bitcoin, Ether, Solana…) tout en ayant comme garantie leur réserve en cryptoactifs.
Qu’est-ce que la constitution de réserves stratégiques en cryptoactifs nous dit plus largement sur l’évolution de ce secteur ?
H.S. : C’est un secteur qui évolue rapidement. Entre l’adoption institutionnelle des cryptoactifs, l’essor des stablecoins, le développement des actions tokenisées… les usages de la blockchain sont multiples et globalisés. Au-delà des réserves stratégiques, les cryptoactifs sont désormais conseillés à des investisseurs qui souhaitent diversifier leur portefeuille au même titre que des actifs classiques. On peut dire que les cryptoactifs ont trouvé leurs lettres de noblesse dans le monde de la finance.
« Les cryptoactifs ont trouvé leurs lettres de noblesse dans le monde de la finance. »
3 questions à Alexandre Laizet, Directeur de la stratégie Bitcoin chez Capital B
Qu’est-ce que la constitution de réserves stratégiques en cryptoactifs nous dit plus largement sur l’évolution de ce secteur ?
A.L. : Une Bitcoin Treasury Company est une société cotée dont l’objectif principal consiste à accumuler des bitcoins et à les conserver sans jamais les revendre. Au-delà de la constitution d’une réserve stratégique en Bitcoin, la valorisation d’une Bitcoin Treasury Company est aussi plus élevée qu’une société classique. Chez Capital B, notre stratégie nous permet en outre de maximiser le nombre de bitcoin par action au fil du temps au profit de nos actionnaires. Cet effet levier est obtenu grâce à la création de valeur générée par certains mécanismes financiers, comme l’émission de titres financiers pour lever des fonds dans des conditions relutives[4]. Pour les entreprises, ce modèle présente aussi plusieurs avantages. Ainsi, les Bitcoin Treasury Companies ont accès aux marchés de capitaux pour lever des fonds et acquérir plus de bitcoins qu’à l’échelle individuelle. Ce faisant, elles augmentent progressivement leur surface financière globale tout en générant de la valeur actionnariale sur un standard Bitcoin. Chez Capital B, nous avons par exemple démarré avec 15 bitcoins et en possédons aujourd’hui plus de 2 800, tandis que notre capitalisation boursière est passée de 15 M € à plus de 200 M€, avec une augmentation du nombre de bitcoins par action de plus de 1 600 % et les plus grands volumes observés sur Euronext Growth Paris.
En quoi l’adoption massive de bitcoins comme principal actif de réserve permet-elle de soutenir les ambitions de développement de Capital B ?
A.L. : Avoir une capitalisation boursière qui s’élève à plusieurs centaines de millions d’euros nous donne accès à des moyens de financement bien plus importants que ceux de sociétés plus petites. Cela nous apporte également beaucoup de visibilité auprès de clients et de partenaires potentiels, ainsi qu’un rayonnement à l’international. Quand je participe à des conférences et lors de mes rendez-vous investisseurs dans le monde entier, Capital B est déjà identifié comme l’un des leaders mondiaux du domaine des Bitcoin Treasury Companies. Cette reconnaissance peut aussi s’observer à travers notre présence dans le Top 5 mondial des plus grandes communautés d’investisseurs dans les Bitcoin Treasury Companies sur X et Discord. Cela n’est pas seulement dû à l’adoption de Bitcoin et peut s’expliquer par 3 facteurs clés permettant à Capital B de se distinguer comme l’une des Bitcoin Treasury Companies les plus performantes et au plus fort alignement avec ses investisseurs sur le long terme. Le premier est la clarté de notre vision : devenir le Strategy européen et continuer à consolider notre leadership régional sur l’émission de titres financiers visant l’accumulation de Bitcoin. Le deuxième est le professionnalisme et le conservatisme de nos équipes avec plus de cinquante ans d’expérience sur les marchés de capitaux appuyée par les investisseurs stratégiques les plus reconnus dans le domaine : Adam Back, Fulgur Ventures, UTXO Management, et bien entendu TOBAM. Enfin, le troisième est notre focalisation sur l’augmentation du nombre de bitcoins par action au fil du temps dans tout ce que nous entreprenons pour faire de Capital B une des pierres angulaires incontournables des marchés de capitaux digitaux qui émergent.
Quelle est votre vision de l’évolution du secteur des cryptoactifs en Europe et de ses impacts sur le monde de la finance traditionnelle ?
A.L. : Nous avons la chance de disposer, en Europe, d’un cadre réglementaire clair pour le secteur des cryptoactifs grâce au règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets Regulation). Celui-ci permet notamment aux banques de conserver des cryptoactifs, de développer des solutions et services dédiés et de travailler avec d’autres acteurs du domaine. Par exemple, les bitcoins de Capital B sont détenus par nos partenaires bancaires, ce qui est aussi, pour les investisseurs, un gage de confiance et de sécurité. Concernant le marché européen, celui-ci reste à date plus conservateur que le marché américain en termes d’investissement. Cela ne nous a pas empêché de lever plus de 200 M€ en dix mois et de réaliser une dernière levée de 58 M€ en accueillant plus de 30 institutions financières internationales nouvelles à notre table de capitalisation, une première en Union Européenne pour une Bitcoin Treasury Company. Par ailleurs, je tiens à souligner que la collaboration avec les régulateurs, notamment l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) en France, est également très positive. De la même manière, nous avons pu émettre les premières obligations convertibles libellées en Bitcoin au monde en 2025, ce qui a été permis par la maturité et le caractère pionnier des cadres réglementaires français et luxembourgeois, reconnus par les investisseurs du monde entier. Pour toutes ces raisons, l’Europe est, selon moi, un havre pour le développement d’une Bitcoin Treasury Company.
Pour répondre à la seconde partie de votre question, on assiste également au sein de l’écosystème bancaire traditionnel à une accélération de l’adoption du Bitcoin. Ce dernier est soudainement devenu un actif financier comme un autre depuis le succès des ETF Bitcoin américains et, à ce titre, attire de nouveaux profils d’investisseurs. En d’autres termes, l’exposition au Bitcoin ou, à travers des actions, aux Bitcoins Treasury Companies, gagne du terrain – et ne pas prendre le temps d’étudier le sujet est devenu un risque de carrière compte tenu de la demande croissante des investisseurs. Une prochaine étape pour Capital B vers les marchés de capitaux digitaux sera l’adoption de la tokenisation des actifs financiers qui permettra l’accessibilité de nos actions 24h/24 et 7j/7 de manière instantanée, directement en Bitcoin et potentiellement sur des plateformes d’échanges à l’avenir. En outre, l’inclusion potentielle future des Bitcoin Treasury Companies dans des indices boursiers (SBF 120, CAC 40, etc.) participera de ce même mouvement : toute personne possédant un produit financier incluant des actions ou obligations (PER, PEA, assurance-vie, etc.) pourra détenir une forme d’exposition au Bitcoin dans son portefeuille… sans forcément le savoir !
[1] http://bitcointreasuries.net/
[2] L’émission du Bitcoin est limitée à 21 millions d’unités dans le monde.
[3] Un actif financier est considéré comme liquide lorsqu’il existe un marché secondaire permettant de l’acheter ou de le vendre rapidement à un prix proche du prix affiché.
[4] Un effet relutif décrit une amélioration du nombre de bitcoin par action d’une société réalisé au cours de certaines opérations financières et boursières.